Leçon ruandaise à propos de la formation de disciples

Le Ruanda est sous les feux de l’actualité. Pour une sinistre raison : l’anniversaire du génocide qui a fait près d’un million de morts, dans un pays pourtant visité par le Saint-Esprit, et l’implication de la France dans ce massacre. Mais j’ai appris une autre leçon sur la confiscation de la formation de disciples.

Un peu d’histoire

Septembre 1929 a été un mois difficile pour le Dr Joe Church, missionnaire au Rwanda, petit pays d’Afrique de l’Est. Le pays venait de connaître la plus terrible des famines. Sa fiancée était malade en Grande-Bretagne et il craignait qu’elle ne soit pas jugée apte au service en Afrique. Et il venait d’échouer à son premier examen de langue. Épuisé et découragé, il décide de faire une pause à Kampala, la capitale de l’Ouganda voisin.

Docteur Joe Church et son épouse

Joe Church loge chez des amis sur la colline de Namirembe et le dimanche matin, il se rend à la cathédrale. A l’extérieur, un Africain se tient debout près de sa moto. Il s’appelle Simeoni Nsibambi. Il demande à Joe :

Il y a quelque chose qui manque en moi et dans l’Église ougandaise. Peux-tu dire ce que c’est ?

Simeoni Nsibambi et son épouse

Le deux hommes se repentent

Ils passent deux jours à étudier la Bible et à prier ensemble. Dans une lettre ultérieure, Joe écrit :

Rien ne peut empêcher un véritable déversement du Saint-Esprit au Rwanda, si ce n’est notre propre manque de sanctification.

Transformés et Joe est retourné au Rwanda. Immédiatement, des conversions ont eu lieu. Les chrétiens ont commencé à confesser leurs fautes et leurs ressentiments les uns aux autres. Le pardon a été expérimenté et les relations brisées ont été restaurées.

Du Ruanda, le Réveil, s’est étendu à l’Ouganda et au Kenya, puis à d’autres pays limitrophes. Ses effets ont été plus durables que ceux de presque tous les autres Réveils de l’histoire, si bien qu’aujourd’hui, il n’y a pratiquement pas un seul dirigeant protestant en Afrique de l’Est qui n’ait été touché par ce Réveil, d’une manière ou d’une autre.

Un renouveau différent

Les Réveils en Afrique au début du vingtième siècle, à quelques exceptions près, ont conduit presque immédiatement au schisme, souvent liés au sentiment anti-colonialiste. Les Africains voulaient, à juste titre, avoir leur propre Église sans l’ingérence des missionnaires.

Le Réveil de l’Afrique de l’Est s’est écarté de ce schéma. Dans leur « quête de l’excellence », les leaders du Réveil se sont résolument opposés au schisme. De ce fait, nombre d’entre eux ont dû subir l’incompréhension, la désapprobation et la franche opposition de leurs collègues. Joe Church lui-même se vit un jour retirer son autorisation de prêcher. À cette époque, en Afrique de l’Est, le christianisme était très nominal, avec des normes morales peu élevées et beaucoup de corruption. Avec la montée du nationalisme africain, les relations entre les missionnaires blancs et les Africains étaient souvent tendues. […] Les missionnaires ont été humiliés, dépouillés de leur orgueil racial et capables de jouir d’une profonde communion chrétienne avec les dirigeants africains, qui avaient également une compréhension si profonde de la mort réconciliatrice de Jésus qu’elle les libérait de tout ressentiment envers les Blancs.

Le Réveil a comblé les divisions raciales et spirituelles. Le leadership devint de plus en plus africain, entre les mains d’hommes tels que William Nagenda, Festo Kivengere, et d’autres.

Les fruits du Réveil 

De nombreux chrétiens du monde entier ont été enrichis par le message et l’inspiration de ce Réveil. Des milliers d’Africains se sont convertis, le christianisme nominal a disparu pratiquement du jour au lendemain, les gens ont ouvertement reconnu leurs péchés et s’en sont détournés, et l’église a été profondément renouvelée. 

[ Section rédigée d’’après Michael Harper : https://christianhistoryinstitute.org/magazine/article/new-dawn-in-east-africa/] Pour en savoir plus rendez-vous sur le site de l’Église Réformée Baptiste du pays d’Aix.

Petit-fils du Réveil !

J’ai été en contact à de nombreuses reprises avec Roy Hession, qui a été l’un de mes mentors. Lui-même avait été en contact avec des leaders de ce Réveil. Lisez ici son témoingage. Leur message et leur témoignage avait bouleversé sa vie. Lisez ce qu’il raconte ici. Ainsi moi-même, à mon tour, j’ai été touché par cette compréhension du Réveil de l’Afrique de l’Est, de la marche dans la lumière, de la plénitude de l’esprit, de la repentance continue. Je suis un petit-fils de ce Réveil. Tout comme Geoges Werwer, marqué par Roy Hession. Lisez ici mon témoignage.

Roy Hession
Roy Hession

Nairobi  

J’ai l’immense privilège de participer à un congrès de Réveil qui réunit des leaders d’Afrique de l’Est, mais aussi d’Europe et des États-Unis, à Nairobi, au Kenya en juin 1996. Je suis émerveillé par le fruit de l’Esprit dans la vie des leaders, et parmi la population. Vous montez dans un bus, vous vous asseyez, votre voisin vous tend la main vous salue par ces mots : 

Bonjour je m’appelle X, je suis né de nouveau à telle date et vous ? Incroyable ! Des frères et soeurs du Ruanda participe à cette rencontre. Ce congrès me bouleversera à long terme.

La question qui tue

Comment un pays touché de manière si profonde par l’Esprit de Dieu, bouleversé en profondeur par l’Évangile, durant des décennies, a-t-il pu sombrer dans un génocide tel que celui de 1994. Cela dépasse ma compréhension, et restera une interrogation profonde. Une vraie contradiction. La question va rester sur mon coeur jusqu’en 2010.

CapTown 2010

En octobre se tient le III eme Congrès mondial d’évangélisation. Lors d’une plénière la parole est donnée à un jeune leader Ruandais. Et il apporte enfin la réponse à ma question. Il déclare en substance :  

Vous vous demandez comment un pays comme le mien, touché et visité par l’Esprit de Dieu a pu basculer dans un pareil génocide, et pourquoi l’Église de Jésus-Christ n’a pas joué son rôle de « sel de la terre » ? La réponse est que le système pastoral a « confisqué le Réveil ». Dans le sens ou les pasteurs se sont réservé la formation de disciples, et l’ont orientée vers un catéchisme ! Ainsi l’Évangile n’a pas pu faire son oeuvre de transformation en profondeur dans les coeurs… jusqu’au point de renoncer aux vieilles rivalités ethniques. 

Confirmation

J’ai obtenu une confirmation de cette explication en septembre 2015, lorsque j’ai participé à un Forum des Évangélistes à Kigali. J’ai interrogé un des orateurs Ruandais, qui m’a fourni exactement la même explication.  Quelques années plus tard, en République Centrafricaine, j’ai entendu une explication semblable de la part des leaders nationaux :

Nous devons reprendre fondamentalement la formation de disciples. Certains chrétiens ont pris les armes, après avoir été attaqués par les milices musulmanes. Il est vrai que les exactions subies ont été nombreuses et violentes. Mais ces chrétiens nous ont déclaré : – Ça fait des années que vous nous dites d’aimer nos ennemis, nous voyons le résultat. Nous nous  prenons les armes !  Malheureusement l’évangile enseigné ne les avait pas rendus capable d’aimer leurs ennemis ! 

Formation de disciples ou catéchisme ?

C’est une vraie question ! Formons nous des disciples capables de former à leur tour de nouveaux disciples ? Cette formation est-elle réservée aux pasteurs, aux anciens qui deviendront forcément des « entonnoirs » ! Ne serait-ce par manque de disponibilité, de temps…. Mais aussi de don ! Plus théologiens que formateurs ? Jésus a passé trois ans avec ses disciples, pensons-nous former un disciple en 10 ou 15 leçons d’une heure ? Et qu’en est-il de l’exemplarité dont parle Paul :

Soyez tous mes imitateurs, frères et sœurs, et portez les regards sur ceux qui se conduisent suivant le modèle que vous avez en nous.

Phil 3 : 17

Formons nous des disciples qui intègrent tout le conseil de Dieu, qui ont une théologie de la mort à soi-même, de la souffrance, qui comprennent l’urgence de la mission et  ce que signifie suivre Jésus ?

Qui fait avec ?

J’ai eu une discussion sur ce sujet avec un diacre d’une Église Évangélique :

  • Q : Comment formez-vous les nouveaux disciples ?
  • R  : Ah mais nous avons d’excellents enseignants ! ( Ce qui est exacte)
  • Q : Je n’en doute pas mais qui « fait avec » qui « marche devant » qui donne l’exemple ?
  • R : Silence…. Nous ne formons pas des disciples. D’ailleurs cela fait plusieurs dizaines d’années que nous n’avons plus envoyé de missionnaire !

Cette conversation a trouvé un prolongement quelques années plus tard. Un jeune couple, qui avait été durant 10 ans responsable du groupe de jeunes dans cette église, a réalisé qu’il n’avait jamais eu de vraie formation de disciple, qu’il ne saurait pas quoi ou comment transmettre. Il a demandé à ma femme de suivre avec elle une formation de disciple et tous les deux ont découvert plein de richesses pour leur vie spirituelle. 

Conclusion

Qui dans votre Église forme de manière intentionnelle les disciples ? Cette formation est-elle uniquement entre les mains de certains leaders ? Qui montre l’exemple ? Qui « fait avec » ? Formez-vous des disciples qui intègrent tout le conseil de Dieu, qui ont une théologie de la « mort à soi-même », de la souffrance, qui comprennent l’urgence de la mission et ce que signifie suivre Jésus ? Prêts à servir, prêts à témoigner, prêts à donner ? 

Ou dispensez vous un certain catéchisme évangélique ? Êtes-vous un(e) leader qui peut  dire comme Paul l’a répété au moins six fois : 

Soyez mes imitateurs, comme je le suis moi-même de Christ

. 1 Cor 11 : 1

Je sais ça pique, ça me pique moi aussi !

Je confesse

Je n’ai pas toujours compris l’importance de cette formation de disciples. De disciples capables de former à leur tour d’autres disciples. Je ne me suis pas donné, dans mon ministère, à cette tâche primordiale, confiée par Jésus. C’est l’un des paradoxes du leadership spirituel : accomplir quantité de choses, dans l’intention de servir le Royaume de Dieu, et être, en réalité, distrait de celle première confiée par Christ ! 

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