The mentoring tree

Interview de Leighton Ford

À la suite de la mort de leur fils, Sandy, Leighton et sa femme Jeanie, sœur de Billy Graham, ont créé une fondation en mémoire de leur fils, dans le but de soutenir d’autres jeunes hommes et femmes qui courent leur course pour le Seigneur. Aujourd’hui, Leighton est le président de Leighton Ford Ministries, qui a pour but d’accompagner une nouvelle génération de leaders chrétiens. Avant d’assumer ce rôle, il était évangéliste associé de la Billy Graham Evangelistic Association, dont il fut le vice-président de 1955 à 1985. 

Q : Vous avez pris un tournant dans votre carrière en vous focalisant sur ce qu’on pourrait appeler le mentorat spirituel. Cela semble bien différent des grandes campagnes d’évangélisation dans lesquelles vous étiez autrefois engagé. Quel est le rapport entre ces deux types de ministère?

Il m’est arrivé de parler devant des dizaines de milliers de personnes à certaines occasions. Cependant, je pense que j’ai toujours essayé de garder à l’esprit qu’il ne s’agissait pas seulement d’évangélisation de masse mais également d’une plateforme pour interagir personnellement avec des individus.

Lorsque je parlais dans des grands rassemblements, j’essayais d’aller dans les tribunes pour rencontrer des personnes et leur parler : – D’où êtes-vous ?Qu’est-ce qui vous a conduit ici ? , ou : – Salut, je suis Leighton Ford, et vous ?  Je pense que cela aidait à la fois les personnes présentes, en les mettant à l’aise et en me permettant de nouer des liens individuels. À la fin de ces grandes rencontres, il m’arrivait souvent de rester pendant près d’une heure pour parler avec des personnes en recherche, et pour les conseiller. On peut donc dire qu’il y avait déjà un accent sur le ministère personnel durant cette période de ma vie.

Vers 50 ans, j’ai commencé à me questionner sérieusement. Je me demandais ce que le Seigneur nous préparait pour la suite. Avec ma femme, nous avons considéré plusieurs opportunités , tout en prenant en compte la perte de notre fils Sandy, en nous rappelant l’influence de mon beau-frère Billy Graham et en voyant une nouvelle génération de jeunes leaders en train d’émerger. J’ai senti que Dieu voulait que nous nous engagions dans le développement du leadership de ces jeunes.

Nous avions, à cette époque, un programme appelé Arrow Leadership Program. [Le programme de leadership La flèche]. Dans ce programme, non seulement  j’enseignais le leadership et l’évangélisation, mais j’ai aussi commencé à faire de longues promenades avec ces jeunes. À leur parler pendant des heures, à les visiter, écoutant attentivement leurs désirs, leurs rêves, leurs aspirations, leurs problèmes, leurs frustrations et tout ce qui pouvait les préoccuper.

C’était du mentorat spirituel. Il consistait essentiellement en une écoute attentive, une écoute sans objectif particulier. Les aider à écouter ce que Dieu était en train de leur dire. Et puis je les encourageais ensuite à suivre le chemin que Dieu semblait leur indiquer.

Nous avons ensuite transmis ce programme de développement à l’un de nos anciens étudiants. Puis je me suis focaliser sur le mentorat spirituel, qui consiste en une écoute attentive, et à poser des questions telles que :

  • Qu’est-ce que Dieu est en train de te dire ?
  • Comment vis-tu ta vie de prière?
  • Quelle est l’attitude de Dieu envers toi lorsque tu pries?

Ma mission personnelle est simplement d’être un ami le long du chemin et un artiste de l’âme, parce que Jésus était un artiste, pour reprendre une expression de Van Gogh. Celui-ci disait : 

Christ était l’artiste par excellence ! Il peignait les personnes !  

Voici donc ce qui me procure le plus de joie : aider d’autres à devenir ce que Dieu les a appelé à être. Être leur ami le long du chemin. J’ai vu des personnes au loin dans les tribunes qui se retrouvent maintenant en face de moi, dans mon petit bureau.

Voici donc ce qui me procure le plus de joie : aider d’autres à devenir ce que Dieu les a appelé à être.

Leigthon Ford

Vous avez écrit que vous voyiez le mentorat non pas comme un travail à côté, mais plutôt comme votre principal ministère. Pourquoi ce changement ?

Il y a quelques années, on m’a demandé d’écrire un livre sur le leadership de Jésus. J’ai d’abord refusé. Je trouvais la tâche trop énorme. Qui peut vraiment assumer un tel cahier des charges ? Mais j’ai finalement décidé de le faire. J’ai donc lu, relu, relu et encore relu ce que Jésus a fait, surtout dans l’Évangile selon Marc. Il est devenu très clair pour moi que, dans tout ce que Jésus faisait  : son temps avec son Père, son temps avec les foules, au centre de son attention se trouvaient les personnes avec qui il passait du temps.  Les douze qu’il avait choisis ou bien encore la personne au bord de la route, etc. C’est ce qui, d’après moi,  est au cœur du mentorat : passer du temps avec d’autres, et pas seulement du temps assis en train de discuter de choses sérieuses. Il peut s’agir parfois simplement de passer du bon temps ensemble, voire de s’amuser.

Avec l’un des groupes que j’accompagne, que je rencontre annuellement, nous faisons de longues promenades dans les montagnes de la Caroline du Nord. Nous ne sommes pas nécessairement en train de parler sans cesse du ministère. Nous parlons de football ou nous contemplons simplement la beauté de la nature.

C’est vraiment agréable d’être avec d’autres. Et croyez-moi, c’est aussi important et porteur de sens que d’être sous le feu des projecteurs et de prêcher. Parfois plus! C’est le cœur de la vie. Être un ami le long du chemin. Certains disent que simplement passer du temps avec d’autres est une perte de temps. Mais comment peut-on gaspiller du temps avec des amis ? Il n’est pas nécessaire d’avoir des objectifs particuliers. En effet, ces aspects relationnels de la vie sont aussi importants que les autres où nous sommes peut-être un peu plus intentionnels.

Le président de notre conseil m’a dit un jour :  Leighton, je t’ai souvent vu dans des contacts furtifs. Ces petits contacts avec d’autres (un appel téléphonique de quelques minutes, simplement  pour écouter attentivement quelqu’un) sont parfois aussi importants que de longues discussions.

Dites-nous en plus sur ces contacts furtifs que vous avez avec vos protégés. Comment faites-vous pour vous rappeler des détails de leur vie ou des événements importants pour eux?

J’utilise un calendrier sur mon ordinateur avec des rappels. Un de mes jeunes protégés est mort récemment. J’ai besoin derappels pour appeler sa femme. Parfois, j’établis une  listes des personnes auxquelles je veux téléphoner  pour prendre de leurs nouvelles. Je dois me souvenir que c’est vraiment important, même lorsque les événements ne sont pas si importants que cela à une grande échelle. – Dis-moi simplement ce qui se passe dans ta vie en ce moment ? 

Voilà la phrase essentielle de mon ministère, au cœur de toutes mes responsabilités. Au tout début de mon ministère de mentor, j’ai utilisé ce que j’appelle ma liste HFSP : Hommes et Femmes à Surveiller de Près. Oswald Sanders, qui était un responsable de mission bien connu en Asie et originaire de Nouvelle-Zélande, avait sa liste HFSP. Quand j’ai appris cela, je me suis dit : – Oh, mais il me faut à moi aussi une telle liste ! Ainsi, quand je rencontre quelqu’un qui soit m’impressionne, soit me touche particulièrement, je note son nom et de temps à autre, je lui envoie un petit message. Je l’appelle, je lui demande de m’accompagner pour l’un de mes voyages dans le cadre de mon ministère. C’est de cette manière que notre premier groupe de mentorat a vu le jour.

Quelles sont les erreurs les plus courantes que vous observez dans dans la relation mentorale ?

Une des erreurs principales consiste à projeter nos propres pensées ou notre propre expérience dans celle d’un autre. On entend souvent des phrases comme : – Oh, je comprends cela.J’ai également connu telle ou telle situation ! Je pense que nous devons être très vigilants afin de ne pas tomber dans cette erreur ! Nous devons aussi faire attention de ne pas ériger nos propres expériences comme étant la norme ou bien d’utiliser nos propres pensées au lieu d’être attentif à la Parole de Dieu. Il est évident que ce sont les paroles de notre Seigneur qui sont les plus importantes !

Une autre erreur que je perçois dans le mentorat est la peur du silence. Bien souvent, nous sommes effrayés et nous pensons : – Je dois remplir ce vide. Parfois, nous devons simplement nous tenir tranquilles et nous dire : – Je vais rester silencieux pour lui laisser le temps de bien réfléchir à ce dont nous venons de parler. Ensuite, nous pouvons nous attendre à Dieu pour qu’il leur parle plutôt que nous précipiter pour parler. Je dois souvent me rappeler de ce principe !

Quels sont les besoins de ces jeunes, enthousiastes, qui ont des dons, le désir de servir, mais qui ne savent pas comment?

Je pense qu’ils ont besoin de pouvoir observer attentivement ceux qui sont dans le ministère, surtout pouvoir regarder dans les coulisses. Je pense qu’ils ont également besoin de coaching personnel et d’orientation, si c’est possible.

À partir d’un certain âge, ils ont besoin d’avoir quelqu’un à leurs côtés qui les estiment pour ce qu’ils sont et qui les aide à développer leur propre voie, leur propre manière d’agir. Quelqu’un qui les aide à comprendre que Dieu les a créés uniques. Qu’ils ne doivent pas se sentir obligés de rentrer dans le moule d’un autre.

Souvent nous commençons avec les habits d’un autre. Mais quelqu’un va venir à nos côtés pour nous dire :  – Tu as un don qu’il te faut mettre en pratique ! Il faut que nous encouragions les jeunes leaders à être eux-mêmes. Tels que Dieu les a conçus, tel un artiste. […]

Je pense que le leadership est un art. Je pense que l’on apprend sur le tas, mais également en écoutant d’autres, pour finalement trouver son propre style, celui que Dieu a préparé pour nous.

Vous avez parlé de la différence entre le leadership selon le figuier et le leadership selon le peuplier. Quelle différence ? Et puis d’où vient cette idée ?

On m’a récemment demandé de parler sur le leadership chrétien, qui est bien évidemment le style de leadership de Jésus. Nous devons tous constamment apprendre à être des leaders selon Jésus. Il n’est pas venu pour se faire servir mais pour servir.

Paul Hebert, missionnaire vétéran en Inde, disait : – Nous avons beaucoup trop de leadership du type figuier. Il voulait dire que le figuier, que l’on retrouve en Inde, en Floride ou ailleurs, prend tellement de place qu’il ne laisse pas passer le soleil et ainsi ne permet  pas à de jeunes plants de pousser. Peu de chose pousse sous ces figuiers. Ce missionnaire continuait en disant  : – Nous avons eu beaucoup de leaders qui étaient comme ces figuiers en Inde. J’ai médité sur cette idée et je me suis dit  : – Hum, c’est vrai qu’il y a beaucoup de leaders importants qui prennent beaucoup d’oxygène et d’espace lorsqu’ils entrent dans une pièce !

Par contraste, je cherchais une autre métaphore. Les racines du peuplier poussent sous la terre, et pour la plupart, sont invisibles. On ne voit que le haut de ces arbres. Le plus grand peuplier au monde peut susciter jusqu’à 44 000 drageons ou rejetons. Il y a donc, je pense, deux approches différentes du leadership spirituel . Certains, comme mon beau-frère Billy Graham ont été de grands arbres. – Même s’il est vrai qu’il a encouragé beaucoup de jeunes leaders ! –  Il est important pour des leaders d’être comme des peupliers. Nous ne devons pas être constamment visibles, sous le feu des projecteurs. Une partie importante de notre leadership et de notre ministère peut se dérouler en toute discrétion. Presque de manière souterraine, permettant ainsi à d’autres jeunes plants pousser  d’émerger et de laisser éclater toute leur beauté. C’est une image que j’essaie de garder en tête.

Interview avec Faith & Leadership, adaptée, parue en français dans Multiplier les leaders Sanders et Stamp page 185 à 191. BLF Éditions, publiée avec leur aimable autorisation.

Du même auteur :

Qu’entend-on par « mentorat spirituel » ?
Retour en haut