A Deux sur le chemin

Réflexions d’un leader expérimenté sur le mentorat spirituel

Il ya quelques années, pour le livre Multiplier les leaders, j’ai demander à David Rowley, quelle était sa vision et sa conception du mentorat. David, après avoir été longtemps le président de France-Mission, devenue depuis Perspectives, est actuellement sécrétaire général de UÉBFC. Voici sa réponse ;

Un accord

Le mentorat repose sur un accord entre deux personnes pour s’engager dans une relation dont l’objectif est la recherche active d’une plus grande maturité spirituelle. L’illustration suivante permettra de saisir ma compréhension du mentorat. Le mentor est interpellé par quelqu’un qui lui formule son désir d’atteindre une destination particulière. Celui-ci lui explique que certains événements ou réflexions ont éveillé en lui le désir d’explorer cette nouvelle route. Plusieurs lui ont indiqué la destination, d’autres lui ont recommandé des lectures, des personnes à consulter pour se faire une idée plus précise. Comme le protégé ne connaît pas l’itinéraire, il invite le mentor à l’accompagner. La route qui est devant lui est un réel défi. 

Il est usant et même dangereux de se shooter en permanence à l’adrénaline du leadership.

David Rowley

Le mentor l’écoute… 

… attentivement, se donne du temps pour réfléchir à son engagement afin d’acquérir la conviction qu’il est suffisamment disponible, expérimenté et équipé pour cheminer avec son protégé. Décision prise, ils s’assoient tous les deux pour explorer le chemin qu’ils pourraient emprunter. Le mentor laisse beaucoup d’initiative à son futur compagnon de route pour choisir l’itinéraire. Se limitant, pour cette étape, à lui suggérer quelques conseils pratiques. Il s’agit de voyager léger. De trouver en route de quoi se loger et se nourrir. Le mentor a repéré les endroits pour se mettre à l’abri en cas d’orage. Mais il se garde de parler de toutes les difficultés et obstacles à franchir ou d’énumérer les aires de repos ou d’approvisionnement. La préoccupation d’arriver le plus rapidement à destination ne prime pas chez le mentor. Il a l’expérience de la route. Il connaît les difficultés et les aléas qui forgeront la maturité de son protégé. Le mentorat est en réalité une invitation à s’engager dans l’aventure afin de vivre ensemble de la providence et de la grâce de Dieu.

Une relation

Le mentorat est, par conséquent, une relation qui va bien au-delà de la simple recherche de solution ponctuelle à un problème. Ou l’obtention de conseils d’une personne réputée sage, disposant d’une autorité liée à sa fonction. Certes, une crise ou des difficultés importantes peuvent motiver la recherche d’un mentor. Mais pas systématiquement. Faute de quoi, le mentor serait réduit au rôle de secouriste intervenant lorsqu’un pèlerin, sur la route, aurait atteint son seuil critique.

Le mentorat est une aventure qui se vit à deux.

David Rowley

Trois facteurs…

… sont déterminants pour mettre en place une relation de mentorat :

• l’aspiration du protégé à vivre une avancée spirituelle destinée à marquer son parcours,

• le besoin ressenti d’être accompagné dans cette démarche spirituelle,

• la volonté de faire confiance à une personne perçue comme compétente.

Le mentorat fait suite à la prise de conscience par le protégé de son inexpérience, de sa soif de progresser ou du fait que son désir de servir sera mieux réfléchi et cerné à deux que seul. Reste à se mettre d’accord sur le type de relation souhaitée ou perçue comme bénéfique par le mentoré. C’est sur cet aspect que les choses peuvent se compliquer. Elles doivent, par conséquent, être précisées. Quelle est la vraie nature du besoin ? Un pilote ? Être écouté ? Des directives ? Si la réponse n’a pas été réfléchie et clairement établie, cela peut être source de déceptions, de dérives ou de crispations.Celles-ci finiront par parasiter la relation et nuire au cheminement spirituel visé.

Un mentor qui pèse trop…

… sur les choix, qui impose seul, sans discussion, la route à prendre, risque de provoquer une relation de soumission à lui et non à Christ, à sa Parole et à l’action de l’Esprit. Nous avons tous en mémoire des situations dans lesquelles de fortes personnalités, ou certaines communautés, ont fait main basse sur les choix de vie ou de carrière de personnes. De tels comportements sont nourris par le désir d’asseoir son pouvoir sur l’autre. De le dépouiller du droit à la prise de risque et de la responsabilité qui lui appartiennent. Pour s’établir « directeur de conscience », face à une personne considérée plus faible pour qu’elle soit, en réalité, au service des intérêts de celui qui le guide. C’est peut-être ce qui explique en partie, les réticences dans nos milieux évangéliques francophones à l’égard du mentorat.

Le mentorat est en réalité une invitation à s’engager dans l’aventure afin de vivre ensemble de la providence et de la grâce de Dieu

David Rowley

Pas de clonage !

Détrompons-nous. Le mentorat n’est jamais une relation visant le « clonage ».Certes, l’envergure ou la personnalité du mentor peuvent jouer ou peser sur la relation. Le mentor a été choisi précisément pour ses compétences et ses capacités. Dans la relation mentorale, il ne s’agit pas pour le protégé d’être aux pieds de son mentor, mais de cheminer à deux sur une route qui réserve surprises et découvertes pour l’un et l’autre. Le mentor découvrira lui aussi des nouveautés en route. Il vivra des émotions et des expériences fortes qui vont le marquer dans l’accompagnement de son protégé. Sinon, reprendre la route pour la énième fois finirait par lasser et user les plus hardis d’entre nous. Le mentorat est une aventure qui se vit à deux.

Souvent seul

J’ai personnellement traversé des étapes de ma vie où j’aurais souhaité la présence d’une personne mieux armée ou expérimentée pour m’aider à franchir certains caps ou à naviguer dans des circonstances délicates. Hélas, j’ai souvent constaté qu’une telle personne n’existait pas dans mon entourage. Obligé donc, d’affronter mes limites, mes interrogations, seul. Certains diront que c’est ainsi qu’on avance, en encaissant les coups. Que rien ne construit davantage que les difficultés et l’expérience personnelle. C’est vrai, mais en partie seulement. Parce que peu ancré dans la pensée biblique ! La démarche de Dieu est de nous sortir de notre isolement pour nous placer dans un cadre communautaire.

Puis accompagné

J’ai eu le privilège, dans mon premier poste pastoral, d’avoir dans l’église, un pasteur retraité. Il se rendait disponible pour écouter mes interrogations qui devaient lui sembler bien moins complexes que ne laissait entendre l’émotion ou la perplexité de ma voix. Face à mon inexpérience, il prodiguait parfois des conseils, suggérant des lectures. Il posait surtout avec délicatesse des questions qui me forçaient à dépasser ma tendance à simplement trouver au plus vite des solutions toutes faites.

Il m’inspirait par ses propres questionnements. Ouvrant des pages de son intimité avec Dieu. Sans pour autant me laisser tomber dans un voyeurisme spirituel. Parfois, lorsqu’il comprenait que j’étais à la recherche de trucs ou techniques pour percer le plafond de ma médiocrité spirituelle, il me disait : « Dis donc, tu pousses un peu loin ta curiosité ? Est-ce que je parle sur la place publique de la manière dont je fais l’amour à ma femme ? » Aussitôt, je faisais marche arrière et comprenais que je ne pouvais rester simple observateur ou admirateur de l’intimité spirituelle d’un autre. Je devais moi-même risquer et expérimenter une intimité qui me serait propre. À la fin de chaque entretien, il m’offrait un moment inoubliable. Il m’invitait à l’accompagner dans la présence de Dieu où il intercédait pour le jeune compagnon de route que j’étais. Il a été dans ce début de ministère le mentor dont j’avais besoin.

Par la suite

…ce sont plutôt des conseillers qui ont croisé ma route. Je dispose toutefois de la présence d’un ami de longue date à qui je livre mes états d’âme, avec qui je débats de spiritualité et réfléchis sur l’action de l’Église. J’ai avec lui une complicité et une amitié profonde. Plus récemment, j’ai rejoint la « communauté internationale de mentors » de LFM dont font partie Martin Sanders, Raphaël Anzenberger et Alain Stamp. Je ressentais une fatigue « intérieure » due en partie à mes engagements professionnels. J’avais besoin d’introduire plus d’espace ou de « souffle » dans ma vie pour me poser. Traiter ma fatigue et apprendre à vivre différemment mes engagements.

Grâce à cette expérience communautaire, j’ai découvert la pratique de ce qu’on appelle parfois « les disciplines spirituelles ». Pratiquer le silence, l’écoute attentive, le discernement, la lectio divina et l’adoration dans un cadre communautaire, tout cela est une expérience renouvelante. On apprend à être moins crispé ou nerveux face à ses compagnons de route. Alors qu’ils sont à l’écoute de vos interrogations et aspirations, et qu’ils vous apportent, en toute simplicité, des éclairages édifiants, posent des questions pertinentes et prodiguent leurs encouragements.

L’équilibre du leader spirituel

De telles expériences sont salutaires pour l’équilibre personnel d’un responsable. Il est usant et même dangereux de se shooter en permanence à l’adrénaline du leadership. Il faut savoir quitter le poste de pilotage pour vivre l’expérience « d’être conduit » par d’autres. Et vivre à plusieurs le ressourcement et le renouvellement spirituels. La pratique personnelle quotidienne  des disciplines spirituelles, les retrouvailles périodiques avec de vrais compagnons de route, introduisent des rythmes de vie qui préservent la vie et la spiritualité du leader. Et lui permettent d’avancer dans sa mission. Aujourd’hui, grâce à cette expérience et ce réseau, je peux envoyer un courriel, décrocher mon téléphone et inviter un frère à me rejoindre pour faire un bout de route ensemble. À présent, je cherche à me rendre disponible pour accompagner de jeunes leaders.

Préparer la relève

La capacité pour les églises et oeuvres à poursuivre leur mission dans l’avenir passe par le renouvellement de leurs cadres et responsables. Le bon sens et l’expérience confirment que la vocation pour l’église naît, se forge et se développe dans un cadre relationnel. Inviter ou inciter, pour ne pas dire supplier ou gronder, les jeunes gens à prendre leur place dans l’église est peu porteur d’avenir. Se contenter de dispenser une formation qui relève davantage de l’information, n’aura pas l’effet de levier nécessaire pour motiver et aboutir à un engagement concret et réfléchi. Je crois que nous sommes loin, dans nos milieux évangéliques, d’avoir développé tous les efforts et initiatives nécessaires en vue de multiplier les leaders qui seront indispensables pour accroître l’impact de l’Église dans la société.

En matière de multiplication, l’exemple de Jésus est édifiant. Il choisit la relation maître-disciple, pratiquée à son époque, pour mettre en place des dynamiques qui caractérisent le mentorat d’aujourd’hui. Il semble tout à fait à l’aise dans l’accompagnement de douze personnes en particulier. Tout en assumant sa charge d’enseignant, de leader d’une communauté de soixante-dix personnes et bien davantage. Sans parler d’innombrables entretiens privés et actes de compassion envers des personnes délaissées sur les routes de la vie.

Le privilège du mentorat

S’investir dans la vie de futurs responsables pour leur permettre de prendre le relais me semble être non seulement normal, mais prioritaire aujourd’hui. Or, le mentorat est un outil pour cultiver et ancrer dans nos communautés les dynamiques de la transmission de la foi, de la vie et de la mission de l’Eglise. 

Lorsqu’on exerce la vocation de mentor, on n’a guère le temps ou l’envie de participer à des jeux « d’esprit de boutique ». De jouer au « propriétaire » de son ministère ou de l’église. D’être grincheux et de redouter ceux et celles que Dieu embauche dans son champ ou dans sa vigne. La découverte et l’accompagnement des autres sont bien plus exaltants. C’est être en première ligne ; observateur et humble acteur dans l’éclosion de la vie de Dieu et de son Esprit dans la vie d’un compagnon de route.

David Rowley

Extrait de

Multiplier les leaders

MARTIN SANDERS & ALAIN STAMP

Avec l’aimable autorisation de BLF-ÉditIons

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