Pourquoi j’ai demandé pardon en RCA

Cet article date, et pourtant je le publie à nouveau. Je tiens à ce qu’il figure sur ce blog, parce que je me suis engagé publiquement en RCA à expliquer le sens de ma démarche en France. Je tiens ainsi ma promesse.

En avril 2015, s’est tenu le Forum des évangélistes [1] (FDE) à Yaoudé au Cameroun, auquel j’ai participé en tant que chargé du développement du mentorat et des communautés d’apprentissage de mentors du FDE francophone. À cette occasion j’ai rencontré le pasteur Anatole Banga, vice-président de l’Alliance Evangélique Centrafricaine qui conduisait une délégation d’évangélistes. J’ai été bouleversé d’entendre leurs témoignages, apprendre les épreuves traversées par l’Eglise de Jésus et ses serviteurs, victime des Sélékas, groupe armé anti-chrétiens [2] : églises et maisons brulées, pasteurs et hommes assassinés, femmes et filles violées, outils de travail, commerces détruits, populations déplacées, etc. J’ai demandé au pasteur Banga ce qui pourrait constituer une aide pour son pays. « Venez faire un FDE en Centrafrique pour nous encourager à retrouver notre confiance dans notre ministère. » J’ai suggéré : « Mais pas sans prendre au préalable deux jours pour vous offrir un temps de guérison et de restauration ! ». Grâce à Dieu et après bien des hésitations, le FDE de Bangui s’est tenu du 13 au 15 octobre 2016, précédé d’un séminaire de « guérison des cœurs brisés et de réconciliation », les 11 et 12.

Un entretien décisif

Le dimanche précédent, j’ai eu un entretien avec un pasteur, haut magistrat, qui m’a révélé le rôle de la France en Centrafrique, les méfaits de la colonisation, ses responsabilités dans la situation actuelle de misère, comme dans la guerre civile qui il y a sévi il y a 3 ans, et qui perdure sporadiquement. Depuis l’indépendance dans les années 60 la France s’est arrogé un droit de préemption sur les importantes richesses du sous-sol : pétrole, diamants, uranium. Elle a longtemps entravé l’exploitation des richesses du sous-sol pour préserver ses propres intérêts. Mon interlocuteur a ensuite souligné que la France à longtemps joué sur un deuxième tableau, celui des ventes d’armes.  Le conflit, qui perdure en RCA, a de terribles conséquences pour les chrétiens en particulier. La situation économique du pays et de l’Eglise de Jésus, sont catastrophiques. Et j’ai été scandalisé, profondément choqué, déstabilisé. J’ai compris pourquoi beaucoup de centrafricains ont un très fort sentiment anti-français, et parfois une haine profonde.

NB : J’ai été accusé de contre vérité sur le sujet. Je ne tente pas d’expliquer la politique de ce que l’on nomme la France Afrique. J’explique les raisons du ressentiment des Centrafricains. Les extraits de la loi qui donnait l’indépendance à trois pays, note [4], permettent de mieux comprendre.

Comment ouvrir le FDE ?

Or j’étais le premier orateur à devoir prendre la parole pour ouvrir les deux jours de séminaire, et traiter le sujet : « Face à la souffrance et l’épreuve ». J’ai compris que je ne pourrais être ni écouter ni entendu par la grande majorité des 350 pasteurs et évangélistes présents.J’ai demandé au Seigneur de me guider. J’ai commencé mon intervention en disant : 

Des dizaines de des dizaines de têtes ont approuvé ostensiblement ce que je venais de dire. J’ai alors simplement demandé pardon pour les actions graves inadmissibles et révoltantes que mon pays a commis en Centrafrique, et exprimé mes regrets et ma compassion. Par l’intermédiaire d’un pasteur j’ai demandé si les chrétiens centrafricains présents pouvaient me pardonner. Il leur a posé la question en Sango, langue vernaculaire, et la réaction a été merveilleuse et bruyante de joie !

– Je crois que j’ai un double handicap : je suis blanc et je suis français !

L’acte fondateur du Forum

Très rapidement les responsables centrafricains ont qualifié ma démarche de pardon d’« acte fondateur du Forum ».Les deux jours de séminaire ont été essentiellement animés par Albert Mabasi Sindao, pasteur rwandais, délégué par African Enterprise, qui a perdu toute sa famille durant le génocide et qui a traité de manière exceptionnelle, et africaine, les questions de guérison intérieure de pardon et de réconciliation. Nous avons placé devant l’estrade, trois grandes croix en bois, deux pour pouvoir y accrocher des papiers pour confesser ses péchés. Une avec une « Boite à tristesses » pour déposer symboliquement à la croix ses tristesses, deuil, pertes, et toutes souffrances dont Jésus seul peut consoler. Nous avons assisté à de très nombreuses repentances et de nombreuses guérisons intérieures. Certaines personnes sont venues à la croix à plusieurs reprises, même durant les jours suivants.

La suite du FDE a été un temps profondément béni et encourageant pour les évangélistes centrafricains qui sont repartis particulièrement nourris et encouragés.

Es-tu prêt à renouveler l’acte fondateur du Forum ?

Durant la semaine les Sélékas ont tués plusieurs dizaines de personnes au nord du pays. Le président de l’AEC[3], qui regroupe l’essentiel des 52% de chrétiens évangéliques du pays, nous a partagé que la RCA se trouvait à nouveau au bord de la guerre civile, et que les chrétiens avaient un rôle modérateur essentiel à jouer. C’est pourquoi il a invité le Président de la République de Centrafrique, Faustin-Archange Touadéra, à assister à la cérémonie de clôture du Forum. Celui-ci est un chrétien convaincu. Le président de l’AEC m’a demandé si j’étais prêt à renouveler ma demande de pardon, l’« acte fondateur », en présence du Président de la République.

Le président Faustin-Archange Touadéra, D. Liberek, et le ministre de l’Intérieur Bokassa

Face au Président de la République

J’ai ainsi eu l’occasion de m’adresser au président de la RCA, ainsi qu’au Ministre de l’Intérieur – fils de feu l’empereur Bokassa, converti à Jésus – pour rappeler comment étaient né ce projet de FDE précédé d’un séminaire, et qu’à mon arrivée en RCA j’avais découvert le rôle de la France dans son pays. Je lui ai demandé pardon en précisant que je n’étais pas mandaté pour cette demande de pardon, que je parlais au nom de mes trois collègues européens présents, mais que je m’engageais à expliquer en France la raison de la démarche que j’accomplissais à son égard et les raisons de celle-ci. 

J’ai été ensuite conduit vers le président et nous nous sommes donné une longue accolade sous les applaudissements et les cris de joie des participants. Florent Varak, intervenant français que FDE de Bangui, a longuement prié pour le président alors que je tenais les mains de celui-ci dans les miennes.

Avec le président de RCA : Faustin-Archange Touadéra,

Une suite inattendue

Deux jours plus tard le lundi, plusieurs responsables, dont le doyen de la faculté de théologie de l’UEEF, m’ont affirmé que mon geste de demande de pardon avait une portée nationale, que mes propos avaient été diffusés sur la radio nationale et que les gens en parlaient dans les quartiers ! Ces frères m’ont dit : « C’est la première fois qu’un français demande pardon. C’est un geste chrétien et un signe d’humilité. »

Une promesse

J’écris ces lignes pour témoigner la fidélité de Dieu et tenir mon engagement d’expliquer, en Europe ou plus loin, pourquoi j’ai effectué, en tant que français, cette demande de pardon envers mes frères et sœurs en Christ de RCA. Merci de prier pour ce pays, pour l’Eglise qui souffre, mais qui désire ardemment témoigner du Seigneur, tant dans les affaires de ce pays, que dans l’évangélisation.

A Dieu toute la gloire !

[1] Le FDE http://forumdesevangelistes.org/

[2] https://www.portesouvertes.fr/persecution-des-chretiens/profils-pays/republique-centrafricaine/

[3] Alliance évangélique Centrafricaine

[4]  Extraits de la loi N° 60-1225 du 22 novembre 1960, parue au Journal Officiel.

Art 5– la République Centrafricaine s’engage à faire appel exclusivement à la République française pour l’entretien et les fournitures ultérieures des matériels et équipement destinés à se forces armées.

Lorsqu’une fourniture n’est pas effectuée à titre gratuite, les modalités financières en sont fixées d’un commun accord.

Art 6– les forces armées de la République centrafricaine peuvent faire appel pour leur soutien logistique au concours des forces armées française

ANNEXE III

CONCERNANT LES MATIERES PREMIERES ET PRODUITS STRATEGIQUES

Art 1er – dans l’intérêt de la défense commune les parties contractantes décident de suivre une politique concertée des matières premières stratégiques et d’adopter en ce domaine les mesures prévues ci-après

Art 2 – sont considérés comme matière premières et produits stratégiques :

Les hydrocarbures liquides ou gazeux

L’uranium, le thorium, le lithium, le béryllium

L’hélium, leurs minerais et composés.

Des modifications pourront êtreapportées à cette liste par échange de lettre entre les parties contractantes.

Art 3 – la république française, la république centrafricaine, la République du Congo et la République du Tchad procèdent à des consultations régulières, notamment au sein de la conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement et du Conseil de défense pour la politique qu’elles sont appelés à suivre dans le domaine des matières premières et produites stratégiques, compte tenu en particulier des besoins généraux de la défense commune de l’évolution des ressources dans les Etats de la Communauté et de la situation du marché mondial […]

Art 4 – la République Centrafricaine, la République du Congo et la République du Tchad réserveront à la satisfaction des besoins de leur consommation intérieure les matières premières et produits stratégiques obtenus sur leurs territoires. Elles accordent à la République française une préférence pour l’acquisition de surplus et s’approvisionnent par priorité auprès d’elle en ces matières et produits. Elles facilitent leurs stockages pour les besoins de la défense commune et lorsque les intérêts de cette défense l’exigent, elles prennent les mesures nécessaires pour limiter ou interdire leur exportation à destination d’autre pays.

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